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Onze Heures

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Mardi, onze heures, ville inconnue. Je dis onze, car c’est ce qu’affiche ma montre à gousset. Je ne sais si je peux m’y fier : la glace est brisée, la trotteuse est arrêtée. Quelle merde, je sais pas ce que je fous ici, depuis combien de temps je suis assis sur le trottoir d’une ruelle déserte. Je ne me rappelle ni de la veille, ni des jours précédents… Je suis juste là, à patauger dans le marécage de ma réflexion, face à une étrange chat qui ronronne en me fixant de ses grands yeux verts. Il pourrait tout aussi bien ne pas être là. J’ai comme un filtre devant la réalité : j’ai le regard trouble, la main tremblante. Bon sang, il faut que je me tire de cette léthargie, que je me lève, que je marche… Rien à faire, les muscles de mes jambes refusent de répondre. Pire qu’un lendemain de soirée trop arrosée.

La lumière s’éclipse, la ruelle s’assombrit, la nuit tombe. Il ne peut pas être onze heures : je jette ma montre au loin. Intrigué, le chat la renifle, revient, me fixant de son ventilateur. Les salopes, elles m’ont bien arrangées… Comment les salopes ? Une bride de souvenir refit surface. Un homme gras, la ville est en Pologne. Rien de plus. Une tâche de sang goutte sur ma veste. Je tire fébrilement sur la manche. Erreur, je comprend pourquoi je suis tremblotant. Mon bras est un vrai carnage. Une plaie béante dégorge du pus, suppure des toxines, vomi sa sanie. Je ne veux pas en savoir plus. Il me faut de l’aide… N’importe quoi, pourvus que cela me sorte du pétrin. Soudain, une grande dame blonde, le regard dur, les formes strictes ! Je lève une main, ma voix se fait rocailleuse, pas un mot ne sort. Elle me regarde comme le dernier des hommes, et continue sans s’arrêter. Le chat s’approche, se frotte à mes jambes, puis me mord. Je ne sent plus la douleur. Il m’observait, attendant qu’onze heures arrive. Je n’ai pas la force de le repousser. Je terminerai minable, dans la ruelle d’une ville étrangère, dévoré par un chat amical. Onze heures, je rejette la tête en arrière, abandonnant mes derniers espoirs. Les cloches d’un autre lieu tintent à mes oreilles : le minuit de mes onze heures…

Dorian Clair | 2012

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